Par Fred Romary
Ce jour du 02 septembre 2019, si mes souvenirs sont bons, météociel nous annonce une météo très favorable pour un beau vol dans le pays basque. Un air très instable certes un peu humide, de beaux plafonds qui s’avéreront aux alentours de 1700m en plaine et sûrement plus sur le massif montagneux du pays basque. Un autre élément important est le vent. Celui-ci sera Nord-est d’environ 5 nœuds faiblissant même en tournant Nord dans le courant de l’après-midi. Tous les ingrédients sont réunis pour faire une bonne garbure de thermiques de cums de bip de transition de kilomètres dans les airs…
En montant à pied le sentier raide du Baigura, j’ai déjà une petite idée de mon vol et c’est plutôt assez rare je l’avoue. Peut-être le signe que ce jour-là, en plus des conditions météo optimales, j’ai moi aussi réuni tous les ingrédients mentaux d’analyse de concentration d’anticipation dont on a tous besoin pour réussir un vol de distance tant les erreurs dans notre sport sont fatales et nous condamnent à se poser trop précipitamment et l’amertume indescriptible de voir des potes encore en l’air, des cums se former encore pour quelques heures et nous redevenus de simples terriens….
J’ai aussi très envie de reproduire un vol de 3 semaines auparavant en allant un peu plus loin vers Mauléon et faire le retour. Lors de ce vol, je retrouve Pantxoa en l’air et il fait demi-tour au Sud-est de Saint Palais juste avant moi, avant de se faire piéger par un énorme étalement qui le condamne à poser par manque de soleil et de convection. Je suis plus chanceux que lui ce jour-là. En traversant moi aussi cette immense zone d’ombre je garde à peine assez de hauteur pour me refaire à 140m au-dessus de Beyrie-sur-Joyeuse de nouveau au soleil. Un simple petit feu de branchages dans un champ m’indique le thermique. Je remarque que la fumée est complétement couchée au sol ! BIZARRE! Avec 5 nœuds de vent météo ? Ni une ni deux, je me jette dans le périmètre du feu, je tâtonne dans l’air turbulent à 0,5 à 1m/s pendant 6 minutes et bingo me voilà satellisé à 1200 m dans du +3 de velours. Quel plaisir de vivre des points bas et de se battre avec une voile toujours très joueuse qu’il faut contenir si près du sol tout en cherchant le noyau du thermique. Sans le savoir cette expérience allait très vite me servir. Aujourd’hui je sais que l’aller allait être plus compliqué car j’allais devoir lutter avec un vent de face de Nord-Est d’une moyenne de 5 nœuds au moins pour l’aller.
L’arrivée au sommet du Baigura est toujours un moment de simple joie d’être là ! Et aussi retrouver la bande de copains parsemés sur le sommet par petits groupes de 3 ou 4, quelques malins autour de Jean Mi à la recherche de bonnes infos, Dédé déjà dans les starting bloc prêt à nous montrer les 1er thermiques, Etienne qui ne manque pas de blagues pour faire rire tout le monde et d’autres déjà concentrés à préparer le matos. Je ne sais plus très bien qui est présent ce jour-là, David j’en suis presque sûr. En tout cas il ne faut pas trainer il est 11h30, le ciel est déjà magnifique de gros cum se forment au-dessus du Baigura avec de beaux plafonds. Les météorologues ont vu bon !
Ce jour-là je garde mon plan de vol pour moi par égoïsme peut-être ou simplement car c’est une fois en l’air que je peux me dire si c’est jouable ou non ! Je me dis aussi que beaucoup de pilotes vont choisir de partir plutôt vers Larceveaux puis Saint Jean Pied de port. Plus facile car les thermiques vont nous y pousser mais plus laborieux pour rentrer à la Gaita en tout cas pour moi car contrairement à un Jean Mi ou Cyriaque je ne connais pas le retour et surtout je ne pense pas être capable de le faire.
Je suis prêt, une bonne bouffe et mon Oméga se dresse, je la freine me retourne et me jette dans le vide… La sellette se plaque à mes fesses, signe du décollage… Le vent relatif souffle sur mon visage je fais 2 tours devant le déco … Rien ! Je m’avance sous le gros cum et en 4/5 tours je suis sous le cum transite sans perdre de hauteur et me retrouve à 1400 à Hélette. Je décide de suivre mon plan direction l’Est. Il est toujours délicat avec un vent de Nord-est de ne pas se laisser glisser trop vers le Sud et les crêtes de Suhescun. Et c’est ce que je veux éviter pour viser plutôt Armendaritz et les fameuses petites crêtes dont parle Jean Mi au Nord. Je vole en crabe accéléré 1er barreau et arrive au 1er mamelon avant le village. 425m sol, il est temps de trouver une pompe ! Mon regard s’affole je regarde les cums, essaye de deviner le thermique, cherche un vautour. Même un Milan fera l’affaire … Les 1ers bips me donnent de l’air ! Je tourne cherche le noyau. Ce n’est pas top, pas franc, ça m’agace ! Puis je monte doucement et m’aperçois que je ne suis pas bien placé par rapport aux nuages au relief … 1000m c’est bien mais peu par rapport à la hauteur des nuages, je décide de quitter cette zone et d’aller sur les reliefs au sud-est d’Armendarits et en transition bingo je vois le thermique, grâce aux vautours j’avoue ! Mais bon ils ne m’ont pas sifflé ni appelé à la radio, je ne le dois qu’à une chose : l’observation. Je file serein vers eux et nous voilà dans le thermique que je cherche depuis Hélette. A y regarder la carte on voit que le thermique a bien démarré au vent de la vallée qui part de Méharin au Nord Nord-Est vers Iholdy. Un vent météo qui est tout de même canalisé dans ces petites vallées.
Enfin au plaf, j’ai fait 9 km en 50’ ! Certains pilotes des Alpes pourraient en rire mais c’est bien mal connaître le Pays Basque! Comme le cœur des basques les kilomètres, ici, sont durs à gagner….
Je garde le cap vers l’Est les collines donnent bien à cette heure-ci. Un gros cum se forme devant moi j’enroule puis monte droit dessous avant de trouver le noyau à +3. Comme m’a dit Berod un jour “hey petit t’arrêtes pas dans du +1 si y a du +4 le jour-là !” L’air se refroidit le bout des doigts aussi et mes lèvres sourient toutes seules, me voilà à 1600m et navigue sans perdre d’altitude avant de quitter le nuage. Mon point de mire est maintenant la jolie combe d’Orsanco au sud de Saint palais. Ça marche toujours là-bas ! Je lutte à l’accélérateur à 27km/h et y arrive hors cycle et reste 15 min dans cette zone pourrie sans y trouver un bon thermique ! Mal placé certainement mais en vol toujours. Je reprends vers l’Est cette fois-ci appuyé au vent d’une jolie colline je trouve un bon thermique au sud d’Uhart Mixe que j’ai connu 3 semaines auparavant. Il me propulse à presque 1700 et il est temps pour moi de faire demi-tour car le ciel vers Mauléon ne m’inspire pas. Erreur peut-être? Je me retourne vers l’ouest et vois de nouveau cet étalement qui avait coûté le vol à Pantxoa et m’avait fait une belle frayeur 3 semaines plus tôt. Incroyable le même au même endroit ! Cette fois-ci pas de risque et je n’ai pas envie de retraverser cette zone d’ombre immense. Saint Palais est au soleil et le vent plutôt Nord va pousser cette masse nuageuse vers le sud. Je décide donc de faire une baïonnette vers le Nord pour passer au soleil. De plus je sais que les petites combes de la ligne de crêtes qui part de Larribar-Sorhapuru jusqu’à Mauléon via Ainharp donnent bien sous le vent car très bien exposée Sud-Ouest à cette heure.
J’ai pu raccrocher un jour très bas dans la combe sud d’Ainharp. Tellement bas que je ne voyais plus que le sommet du clocher de l’église accroché au versant Nord de la colline. Cela avait été un peu sport car très bas et sous le léger vent de Nord-Est ce jour-là aussi.
Je me refais donc très bien au soleil sur les crêtes et part serein vers Saint Palais et plus précisément vers le très joli village de Beyrie-sur-Joyeuse, du moins par le nom bien que vu du haut il donne envie de s’y arrêter.
Le village est idéalement placé car il est dans une petite combe bien au vent de Nord-Est. Les champs bien chauffés par le soleil déclenchent de jolis thermiques qui se soulèvent au vent. C’est confiant que j’arrive à 450m au-dessus du village. Des nuelles se forment au-dessus de moi et c’est exactement au même endroit, après avoir revisualiser mes traces, que l’Omega se tend que le bip retentit et me voilà percher à 1550m dix minutes plus tard.
La route vers Saint-Esteben va être une formalité de nuelle en nuelle qui se forment devant moi. Puis ça se corse à l’approche des nombreuses collines très rocheuses de l’endroit. Je me perds dans mon analyse je ne sais plus trop d’où vient le vent. Je suis de nouveau bas et pas très confiant. Les nuages ne m’aident pas non plus, ils ont disparu ou se sont déchiquetés. Devant moi et face au Baigura, un énorme cum se forme et aspire toutes les voiles qui viennent peut-être juste de décoller. Je décide alors qu’il me reste assez d’altitude de quitter cette zone où je n’y comprends rien et venir me coller au relief Est du Baigura. Etrangement toute la ligne de crête qui monte jusqu’au sommet marque précisément la limite ombre soleil. Je prends alors un coup de pied au cul énorme à l’approche de cette zone et monte droit en longeant la ligne de crête. C’est le pied ! Me revoilà au déco et me dit que j’ai peut-être fait demi-tour un peu tôt tant le retour a été plus facile que l’aller. Ce sport fait de nous des éternels insatisfaits voulant toujours plus au compteur des kilomètres.
Il est 15h30 et il me reste 2 bonnes heures pour continuer mon vol. Je décide donc de faire une branche vers la mer avec le retour pour boucler le vol. Je n’ai pas très bien regardé les émagrames et surtout pas encore suivi le magistral cours de Claude sur le sujet. Les étalements de nuages ont été annoncés ce jour-là et doivent stopper momentanément la convection sur de grosses zones. Je prends mon dernier thermique au-dessus de l’antenne sur les flanc de l’Ursuya. Ma grosse erreur du jour je vais la faire là ! Un énorme étalement de nuage a mis à l’ombre tout le secteur devant moi de l’Artzamendi à Cambo. Au lieu de faire comme je l’ai fait au milieu du vol en contournant cette zone au Nord et au soleil et bien non, je décide d’aller m’appuyer sur les petits reliefs du Mondarrain.
En route je me dis que mon choix est stupide. M’appuyer ? Il n’y a pas de vent météo dans cette zone ! Après une dernière bataille avec quelques vautours dans quelques bulles restantes, je sens la fin du vol. Le Baigura est de nouveau éclairé par le soleil mais il est trop loin et moi trop bas. Je me laisse alors glisser le long de la crête vers Louhossoa qui s’éclaire à nouveau lui aussi. Mais trop tard le temps que cela chauffe de nouveau et fasse renaître de nouveau thermique, je serai posé.
J’apprécie les derniers moments du vol bien assis dans ma sellette sans aucunes turbulences. L’Omega a été robuste aujourd’hui même pas un clignement d’œil, on commence à bien se connaitre les deux. Me voilà posé juste avant la ligne haute tension. Ça ne valait pas la peine de risquer de se foutre dedans pour gagner quelques dizaines de mètres sur mon vol.
Et 69 km c’est un joli chiffre non ?