Par Jean-Michel Harosteguy
Ce matin l’air est blanc, de cette blancheur laiteuse qui altère notre vision des choses lointaines. J’aime cette qualité d’air. Elle doit sa couleur a l’humidité en suspension et a un vent faible qui n’a pas tout brassé pendant la nuit. Il fait froid ça promet.
J’ai posé ma voiture au marché de saint Jean Pied de Port et mes affaires de vol sont prêtes depuis la veille.
Le sac sur le dos et me voilà sur la route de Saint Michel un kilomètre de plat et déjà il faut prendre à droite le chemin qui monte vers les plateaux. D’entrée la cote est raide, sévère, le genre qui vous met rapidos à la recherche du second souffle le cœur battant la chamade. Enfin tout ça je l’imagine parce mon sac quitte mon dos, rejoins le sol et je me roule vite fait une clope pour libérer ma main droite qui doit faire du stop. Les pèlerins passent devant moi et certains me regardent avec un air triste devant tant de faiblesse d’âme.
Evidemment je me retrouve rapidement assis dans une C15 fourgonnette blanche. Installé à l’arrière mon sac est bien calé entre deux brebis parties à la ville se faire soigner, le chauffeur est vraiment particulier, il est grand gros et large il semble fort comme un bœuf…Et là je réalise, les pèlerins sur le bord de la route qui nous accompagnent vers les sommets, le bœuf, les brebis, l’âne (assis à droite du chauffeur) et au centre de cette crèche mobile ma voile posée sur une litière de paille. Si après tout ça la journée n’est pas bonne.
La crèche mobile nous dépose au pied de la vierge d’Horrisson, décidément, et j’attaque les cents derniers mètres, les premières nuelles sont apparues quand je garais la voiture au marché maintenant que j’arrive essoufflé au sommet elles prennent de la consistance, il est onze heure vingt, assis calé contre mon sac je mange mon sandwich omelette aux piments.
Je n’ai pas faim, je suis comme chaque fois que je vole et que les conditions sont bonnes, excité comme une puce et terriblement inquiet a l’idée de faire une erreur ou de manquer de chance et de me retrouver à trois heures de l’après-midi posé au milieu de nulle part sous un ciel pavé de cumulus.
Je déplie ma voile installe vario et radio je mets les gants à portée de mains (des gants a portée de mains logique). Le décollage de la vierge est sécurisant une herbe rase tondue tous les soirs on gonfle sur le plat et après un contrôle visuel on peut facilement s’élancer dans la pente. Ça me fait drôle d’être seul au décollage. Autant voler seul ou plutôt isolé après un moment ne me dérange pas mais là mes amis me manquent.
Les vautours enroulent à trois kilomètres au bout de la Plateau et devant le décollage un petit cumulus m’attend… Aller, décollage, quelques contorsions pour bien m’installer dans le cocon et j’ai fait les cent mètres qui me sépare du nuage, plus 2m/s d’entrée, je m’applique et je me méfie j’ai fait l’année dernière à cet endroit une superbe fermeture pour avoir commencé mon vol trop décontracté.
Tout de suite a 1200 au plafond je chemine sur le plateau sans trop perdre, arrivé au bout il faut que je choisisse un cumulus détaché du relief sur la plaine devant moi. Celui de gauche est joli j’y arrive à 900 mètres et il monte bien, plafond. C’est important quand on veut raccrocher le Munoha de s’avancer pour faire le plafond en plaine avant de traverser la vallée d’Arnéguy, ça donne une petite composante de vent arrière qui améliore la finesse juste ce qu’il faut pour arriver assez haut devant le Munhoa et d’ailleurs on rencontre souvent les premières pompes de son flanc Est avant d’arriver au relief .C’est le cas aujourd’hui arrivé à 600 je remonte à 1000 et je file direct sur son flanc Ouest ou les vautours sont à la fête sous un beau cum, là, plafond obligatoire avant de traverser la vallée vers le côté Sud-Ouest du Jara ou trois cumulus marquent les ascendances .
Du Munoha au côté gauche du Jara la vallée se traverse toujours bien et souvent ça monte en plein milieu, cette fois rien au milieu mais arrivé à 800 mètres sous les cums du Jara deux vautours me montrent une belle pompe je me hisse à la base. j’avance un kilomètre sous les nuelles qui sont devant moi. Je suis donc maintenant au plaf sur le flanc Ouest du Jara et le tronçon suivant de mon parcours est toujours délicat.
Depuis mon départ de la vierge le vent de Nord Est m’a aidé avec une tendance arrière mais là au moment de traverser vers le début des crêtes d’Iparla il vient de la droite (d’Ossés) renforcé par la montagne de l’Arla, dans ce goulet il souffle deux fois plus fort que partout ailleurs. La transition est trop longue vers Iparla pour la faire d’une traite il faut prendre une pompe en chemin. Aller c’est parti, à mi – chemin, sous le vent de l’Arla, pile sur ma trajectoire un cumulus se fait et se défait à trois kilomètres, feu.
Mauvaise transition, très mauvaise, accéléré à fond pour traverser ce coin pourri je tombe du ciel à 4 de finesse et je perds 600 mètres en trois minutes pour arriver sous un cumulus …disparu, et me voilà sous le vent de l’Arla à la hauteur de sa crête sans options de rechange, vite voir des vautours, les secondes passent et j’hésite, ça y est j’en voie trois plus loin sur ma trajectoire ils sont bas et ont l’air en galérer je vais vers eux , les rejoins par le dessus et on tourne c’est petit, turbulent, ça monte mal mais je suis content. Ils lâchent la pompe s’enfoncent plus loin vers l’Iparla et au bout de deux cent mètres prennent la bonne grosse pompe du coin celle qui fait un beau cum toute les cinq minutes je fonce les rejoindre, plus trois intégré bien régulier, dans trois minutes je serai au plafond, sous-le cum qui se forme sur ma tête. Ça monte bien et j’en profite pour me calmer boire un coup bien respirer, recommencer à réfléchir tranquillement.
J’ai en effet remarqué qu’après des moments de vol difficiles, alors que je suis tiré d’affaire, j’ai tendance, dans la phase de vol suivante à faire une erreur qui m’amènera au sol. Comme si je craquais après coup. Maintenant que j’ai compris ce travers de ma nature j’y fait et attention ce n’est plus un problème.
1300, Au plafond à mi-chemin entre le Jara et le début des crêtes d’Iparla je suis serein pour l’heure qui suit, sur mon itinéraire trois ascendances idéalement espacées qui marchent toujours dans ce type de conditions météo.
La première au début des crêtes d’Iparla nous permet presque à chaque fois le raccrochage en arrivant du Baigura très bas, alors en arrivant à 950 mètres expédié en cinq minutes. La suivante c’est la pompe de Jean Yves au bord à droite des pénas d’itsuxi il y toujours deux ou trois pompes qui marchent ensembles et plein de vautours pour nous les indiquer aujourd’hui elles sont en plus chapeautées d’un superbe cumulus. Et je saute dans la combe Est de l’Artzamendy ou ça monte partout et de là, au plafond transition vers la pompe du Pas de Roland ou j’arrive haut et remonte. Un superbe cumulus posé sur la colline de Cambo m’appelle je viens souvent dans cette zone elle marche bien. Cambo sera la pointe Ouest du triangle que j’essaye une nouvelle fois de réussir.
La journée est vraiment bonne pour le pays Basque avec 9 km/h de Nord Est 1300 m de plaf à Cambo. Par contre pour rejoindre le Sud Est de Saint Palais depuis ici je vais être contre le vent pendant une trentaine de kilomètres. Canalisé entre le Baigura et Ursuya le vent de Nord-Est se renforce et en plus coule vers le goulet de Louhossoa (atterro baigura 3OOm Louhoussoa 100m) il me faut donc éviter de passer par Louhoussoa.
De Cambo je file vers les pentes Ouest de l’Ursuya bien exposées au soleil et protégées du vent, j’y remonte bien sous un cum dont je parviens à faire la base. Je vais passer côté nord de l’Ursuya, c’en est fini des pompes de service et du vent arrière, pour passer sur Ursuya vers ses combes Nord je suis obligé d’accélérer à fond et je descends vite ça y est je passe le sommet et continue vers la combe Nord Est, j’y suis enfin, comme elles sont stressantes ces transitions forcément exécutées à fond d’accélérateur au bout desquelles rien n’est certain. J’ai l’impression de foncer à ma perte. Je n’ai jamais trouvé de passage facile dans ce secteur, et comme chaque fois que je suis en difficulté je cherche désespérément les oiseaux, rien, j’arrête de lutter contre le vent et je passe sous le vent de l’Ursuya verticale Mendionde direction les deux petites crêtes ou on vole si souvent devant le Baigura, 250 m/sol ça va le faire. Je trouve un petit zéro qui se renforce et je remonte à 800 je le perds, ou il s’arrête, alors je vais voir la zone sous le vent de Garalda ou il y a un beau cum, Bingo 4m/s plafond 1450m.
Je suis haché le passage de l’Ursuya m’a bouffé toute mon énergie et ça ne fait que trois heures que je vole, qu’est-ce que j’aimerai dans ces moments avoir l’endurance de Fred Dam ou Cyriaque. Bien installé à l’ombre de mon cum je me repose, je mange trois figues sèches je bois aussi en observant tranquillement le ciel entre moi et Saint Palais.
Je me dis que si j’avais décollé du Baigura je trouverai facile d’aller à Saint Palais je dois continuer avec cette même confiance…. Aller, transition, direction la montagne de pierre en face de Garalda ne pas viser le centre mais le côté Sud-Ouest sous le vent, accéléré au trois-quarts, vitesse sol 32 km/h finesse moyenne 6.5, rien sous le vent, les pompes sont rarement dessus la montagne mais devant alors je continue et là comme souvent au Nord d’Armendarits les vautours enroulent dans une longue colonne qui part presque du sol c’est confortable d’avoir des oiseaux en dessous alors je me détends en montant tranquillement et puis je prends le temps de bien choisir mon prochain cumulus, ils s’assèchent et sont moins gros qu’il y a une heure, mais je sais qu’il ne faut pas croire que la convection est finie simplement la masse d’air et le sol se sont asséchés, les ascendances sont toujours bien présentes sous les petites nuelles.
Une heure de vol plus tard, J’ai eu de la chance, les trois nuelles visé à la suite ont toutes fonctionné, et me voici sur la grosse colline ronde au Sud de Saint Palais, qui comme d’habitude donne plein d’espoir mais pas d’ascendances, c’était le point le plus à l’Est du triangle et je tourne en direction de Saint Jean Pied de Port à partir de maintenant je suis pour la première fois de la journée en vent arrière. 4h que je vole, Je suis fatigué et en même temps je sens que je vais réussir, trois figues et je finis ma bouteille d’eau, ça tombe bien je commence à avoir une sérieuse envie de pisser, je démonte le bouchon que je range et je glisse la bouteille dans une poche du harnais, il me faudra choisir le bon moment.
Sous le vent de la colline se trouve la pompe des trois sœurs (Daniel vous expliquera) elle tiens ses promesses et pendant que je monte en pilotant cool a l’économie, je dois choisir lequel des deux chemins, que je connais je vais prendre, la crête au Nord de Larcevau puis la carrière de Juxu dernière ascendance avant ma voiture ou le même début jusqu’à Lacarre puis traverser vers la crête au sud remonter sous le vent ou plus loin à la colline de l’église d’Ahaxe ou il y a toujours une pompe .
Va pour cette option, je quitte les trois sœurs au plafond (moi) et tout en suivant la crête de Larcevau je récupère ma bouteille et je change de position (un harnais couché pour pisser dans une bouteille) assis sur la planchette de ma sellette, le cocon ouvert je règle rapidement ce souci (dans la position de la grenouille sur son échelle) sur vide le tout par-dessus bord et je reprends une position plus académique. J’avance super bien la voile légèrement freinée j’ai 42 km/h sol et 16 de finesse moyenne je passe Lacarre et derrière sous une des rare nuelles de cette fin d’après-midi je prends gentiment une douce pompe à 1m/s qui me remonte à 1100.
Ça y est j’ai enfin réussi, je sais qu’à cette hauteur avec la plaine de Saint Jean qui restitue généreusement et le léger vent arrière j’ai largement de quoi passer au pied de la vierge pour boucler le triangle et rentrer à ma voiture. Pour le plaisir je passe à Buluntxe et ses dolmens ou les vautours sont des dizaines le soir à voler juste pour le plaisir. Je tourne à leur côté un long moment tranquillement et puis quand je suis assez haut je glisse vers l’auberge d’horrisson, des gens sont attablés à la terrasse qui me font des signes auxquels je réponds.
Je ne prends plus les ascendances je les traverse en ralentissant il faut que je me pose au bord de ma voiture et j’ai l’impression que ça monte partout, pour la dernière fois de la journée j’enroule mais là, c’est dans une zone qui descend voilà c’est fini, bien vérifier qu’il n’y a pas de lignes dans le champ si prêt de la ville il y a des poteaux partout, être attentif au sens du vent au sol, soigner mon approche garder de la vitesse et…. Posé.
PS : bien sur ce vol je ne l’ai pas encore fait mais je sais que moi ou d’autres allons bientôt le réussir, les conditions sont maintenant réunies. Nos voiles ont fait d’énormes progrès, et nous, dessous avons trouvé un grand nombre de cheminements qui fonctionnent bien. Toutes les ascendances décrites dans ce récit existent et nous les prenons souvent, il ne reste plus qu’à les prendre toutes dans la même après-midi.
Dans ce récit je vole sans mes amis parce que j’étais bien embêté : qui je mets dessus, dessous, qui je mets devant, derrière, qui va au tas, pose à mi-parcours, ou presque au but, qui va au but Ou alors de nous tous il aurait fallu que je m’amuse, avec, décrit dans le vol, nos différend caractères, et nos manières de voler. Mais là il faudrait cinquante pages.
A très bientôt à la montagne, ou dans le ciel.